« Je n’ai quasiment pas dormi de la nuit, deux heures tout au plus… J‘ai eu un trop gros shoot d’adrénaline ! », témoignait vendredi matin, ce père de famille qui souhaite garder l’anonymat pour éviter qu’on le qualifie de héros. Il n’empêche, sans un heureux concours de circonstances et sa promptitude, l’avant-dernière nuit aurait pu virer au drame, dans le bel écrin de l’anse de Moulin Mer (29).
« J’ai l’impression d’entendre un mec dehors »
Jeudi, la fin de soirée était paisible dans le pavillon de cette famille de Logonna-Daoulas. À 23 h, chacun s’apprêtait à aller se coucher. Dans sa chambre, à l’étage, seul l’aîné des deux enfants, âgé de 17 ans, faisait des heures sup’pour réviser son évaluation d’histoire du lendemain. Sauf qu’il lui semblait percevoir, à intervalles réguliers, à travers à la fenêtre, une voix faible provenant de la mer. Ça finit par le tarabuster. Il descend au rez-de-chaussée, croise son père qui se lave les dents : « Papa, c’est bizarre, j’ai l’impression d’entendre un mec dehors, mais je ne sais pas ce qu’il dit… ».
« C’était pas vraiment alerte à Malibu ! »
Son père ouvre la porte-fenêtre. L’embouchure du Camfrout est à une centaine de mètres. Tous deux tendent l’oreille. Rien. « J’allais lui dire : “Tu as dû rêver” quand on a entendu une toute petite voix : “A l’aide, à l’aide…” ». En une seconde, le père de famille, qui possède un diplôme de marine marchande, passe la surmultipliée.
Il réveille toute la famille, demande à sa compagne de composer le 196 (le numéro d’urgence du Cross Corsen, NDLR), enlève son jeans en s’emparant de son paddle et se met à courir pieds nus sur la grève jonchée de coquilles d’huîtres. « C’était pas vraiment alerte à Malibu ! », rigole-t-il.
« Une petite lumière à bord d’une embarcation »
Pendant tout ce temps, il n’a cessé de lui crier : « Tiens bon, je suis là, j’arrive ! », car il sait qu’un homme à la mer, se sachant au bord d’être secouru, relâche sa tension musculaire et peut couler. « La chance, c’est qu’il n’y avait pas de vent, ma voix portait… ». Problème : dans la pénombre, il ne localise pas les appels à l’aide. « Il y avait plusieurs bateaux au mouillage. Il y avait juste une petite lumière à bord d’une embarcation ». Le père de famille comprendra plus tard qu’il s’agit d’un téléphone portable, dont le mode « lampe » est activé. Au moment de tomber à l’eau, le retraité l’avait jeté dans le cockpit, en croyant pouvoir remonter instantanément…
À bout de forces
Le père rame vers ce petit point lumineux, avec un coefficient 100 de marée qui le ralentit. « Je n’ai jamais cessé de lui parler. J’avais peur de le trouver inconscient. Cela aurait été compliqué de le hisser et de le ramener sur le paddle ». Il arrive à sa hauteur et découvre un homme à bout de forces, accroché au dernier barreau de l’échelle de bain fixée à l’arrière de son voilier. Le retraité est tombé à l’eau à 21 h, tout habillé. Il ne portait pas de brassière, « car il faisait bon », regrettera-t-il plus tard.
« On avait pas mal dérivé »
Pendant une heure, lesté par le poids de ses vêtements mouillés, il a tenté de se hisser en vain, avant d’abandonner. Le sauveteur approche son paddle. « Au début, ça a été épique. Il a mis un bras sur ma planche, on a manqué de cabaner ». De force, le père de famille le monte en travers de sa planche, en lui détachant le bras tétanisé accroché à l’échelle de bain. « Le temps que je récupère ma rame, que je le cale sur ma planche, on avait pas mal dérivé ».
33 ° de température corporelle
Il commence à regagner tant bien que mal le rivage. Très vite, le retraité s’affaisse, n’émet plus un son. « P…, je me suis dit qu’il y était passé », se souvient le père de famille. Il se met à lui taper sur le dos, à le secouer. « Là, il a commencé à grelotter très très fort. Le paddle tremblait avec lui. Je me suis dit : ‘ C’est bon il est en vie !’ ». Il lui faudra dix minutes pour atteindre la grève, où toute la famille le soutient jusqu’à la maison, le déshabille, le frictionne, le sèche.
Une première équipe des pompiers du Faou arrive sur place, l’enroule dans une couverture de survie. Sa température corporelle était alors de 33 °C. Il a été dirigé vers l’hôpital de Landerneau. « Tu as donné l’alerte, tu as sauvé cet homme ! », a répété le père de famille à son fils qui, en grand ado, lui a répondu : « Boh, moi, j’ai juste fait qu’entendre ». Gageons que ce vendredi, il aura moins ramé que son papa sur son fameux devoir d’histoire…