A la cour d’assises du Tarn,
Ce 16 décembre 2020, à 5h36 précisément, Anne S. est réveillée en sursaut par un coup de téléphone de la gendarmerie. « On me demande si je connais Delphine et si je sais où elle est », retrace à la barre de la cour d’assises du Tarn cette mère au foyer de 48 ans à l’épaisse chevelure blonde et au visage jovial. Bien sûr, qu’elle connaît Delphine Jubillar, c’est même l’une de ses meilleures amies. Elles se sont rencontrées par l’intermédiaire de leurs enfants avant de se rapprocher. Mais non, elle ne sait pour où se trouve en pleine nuit son amie. Elle l’a aperçue pour la dernière fois la veille, vers 16h30, sur le chemin du retour de l’école.
Dans son esprit, c’est presque une certitude, Delphine est partie rejoindre son « confident », un terme pudique pour désigner son amant, rencontré dans le courant de l’été 2020. Elle l’avait déjà fait une fois, en plein été, lors de la nuit des étoiles. « Je suppose immédiatement qu’elle n’est pas seule », explique-t-elle d’une voix claire à la barre. Si son amie est secrète sur le sujet, elle s’épanche plus volontiers sur les difficultés de son couple.
Depuis plusieurs mois, voire années, Anne S. est la témoin privilégiée des relations dégradées entre Delphine et Cédric Jubillar. A l’en croire, l’accusé « rabaissait verbalement » sa femme, occupait « toute la place ». « Quand je passais l’après-midi avec Delphine, elle était joviale, souriante. L’arrivée de Cédric provoquait un on-off. » Anne S. voyait alors son amie s’éteindre, se taire. « Elle n’acquiesçait même plus », insiste-t-elle.
« C’est un prétexte »
Dans le courant de l’été, toutefois, un tournant s’était opéré : Delphine a pris la décision de divorcer. La situation était particulièrement « conflictuelle », se rappelle Anne S. Selon des confidences recueillies auprès de Delphine, Cédric avait menacé de « se pendre » si elle le quittait. « La question de l’amant, le faisait dégoupiller », insiste Anne S. Une fois, il avait promis « de lui faire à l’envers » s’il découvrait qu’elle le trompait. C’est pour cette raison que le 16 décembre au matin, lorsque les gendarmes appellent, Anne S. évoque immédiatement le divorce mais pas l’adultère. Elle émet la possibilité d’une balade nocturne. L’idée est de « gagner du temps », confiera-t-elle à la cour. « Dans ma tête, je me dis que si elle a pris les chiens, c’est un prétexte », insiste-t-elle.
Quelques instants après avoir raccroché avec les gendarmes, c’est au tour de Cédric Jubillar de la contacter. Pendant de longues minutes, ils échangent des dizaines de SMS. « Je suis grave inquiet », « je pète les plombs », « je deviens fou », écrit Cédric Jubillar. Mais en parallèle, il lui confie dès les premiers échanges avoir « grillé Delphine », qu’elle a « envoyé une photo d’elle à un type ». Anne est suspicieuse. S’est-il passé quelque chose la veille, se sont-ils disputés, interroge-t-elle. Cédric Jubillar jure que non. « On a même fait un câlin à trois dans le lit », écrit-il. Était-elle consentante, demande Anne S. « La semaine dernière, on a couché ensemble. Elle m’a réveillé en pleine nuit et m’a astiqué le poireau », lui répond-il. A la cour, l’amie du couple confiera ne pas y avoir cru une seconde. « C’était un mensonge », assène-t-elle, expliquant que Delphine refusait tout contact physique avec lui. Dans le box des accusés, Cédric Jubillar, teint blafard, pull camionneur gris rayé de bleu, reste impassible. Parfois, il fixe cette ancienne amie, souvent son regard se perd dans le vide.
Garée dans le sens de la montée
Mais au-delà d’être une témoin directe des relations du couple, Anne S. apportera un élément qui s’avérera décisif pour la suite des investigations : le 15 décembre, vers 16h30, elle a aperçu Delphine se garer devant chez elle dans le sens de la montée. Elle en est certaine car elle a dû piler ce jour-là pour ne pas écraser Oprah, l’une des chiennes des Jubillar, précise-t-elle. Le détail est crucial car le jour de la disparition de Delphine Jubillar, son véhicule était garé dans le sens inverse. Plusieurs voisins avaient indiqué aux autorités qu’elle se garait habituellement dans le sens de la montée mais sans pouvoir en attester avec certitude ce jour-là. « Je crois qu’elle faisait cela parce que c’était plus facile pour elle pour sortir Elyah [la petite fille des Jubillar] de son siège auto », détaille-t-elle.
Mais la défense est vent debout contre ce témoignage. Anne S. n’a livré ce détail primordial que lors de son cinquième interrogatoire, en avril 2021. Pourquoi si tard ? Pendant longtemps, elle a affirmé qu’elle avait vu Delphine Jubillar pour la dernière fois devant l’école. « Je n’y avais pas prêté attention », balaye-t-elle. Elle précise qu’elle en avait parlé autour d’elle sans juger nécessaire de le préciser aux enquêteurs. Les avocats de Cédric Jubillar, plan à l’appui, insistent : le chemin qu’elle dit avoir emprunté n’est pas le plus court, ni le plus direct. « C’était mon habitude », répond-elle, agacée.
Pour la première fois depuis l’ouverture des débats, la défense semble être à la peine avec ce témoignage qui n’apporte pas uniquement du « contexte » mais un élément matériel.