« C’est ce qui s’appelle de la cohabitation », ironise un habitant du quartier. Ce mardi après-midi de début octobre, le manège des trois dealers tout de noir vêtus, visage dissimulé par des masques et des capuches noirs, surprend. Depuis le matin, les trois dealers vendent de la drogue sur les jeux pour enfants situés devant l’école maternelle Trégain, dans le quartier de Maurepas à Rennes. À 16 h 05 précisément, ils quittent les lieux pour laisser les parents d’élèves récupérer leurs enfants tranquillement. Durant quinze minutes top chrono, ils descendent devant le pôle d’activité multimodal, rue de la Marbaudais.
Un dealer sur un dada
A16 h 20 quand de nombreux écoliers quittent les lieux, les dealers remontent. Dans le parc pour enfants flambant neuf, les deux vendeurs se rassoient. L’un sur le « dada », le siège monté sur un ressort. L’autre sur le toboggan. Le troisième reste debout sur sa trottinette. « Ils savent très bien qu’ils ne doivent pas trop exaspérer les habitants. Sinon, on va appeler la police, ajoute le père de famille. Ils ont tout à gagner à être respectueux des gens qui vivent ici. » Même son de cloche pour cette maman de l’école : « Ils sont plutôt sympas. Des fois, quand ils peuvent même nous aider à porter nos courses. Je note aussi que cette nouvelle équipe crie moins quand la police passe. »
Cette mère de famille a vu juste. Depuis lundi 29 septembre, une nouvelle équipe s’est emparée du point de deal dit « du Sapin » également appelé « la Banane » en référence à la forme de l’immeuble qui borde la rue de la Marbaudais. Les « Mahorais », comme les appellent les habitants, qui tenaient le point de deal depuis un an, ont été chassés. « Ce lundi matin là, je suis descendu tôt de mon appartement, explique un habitant du 6 allée de Brno. J’ai vu des jeunes cagoulés et armés jusqu’aux dents, ils n’avaient pas l’air commodes. J’ai compris que l’ancienne équipe n’avait pas intérêt à revenir. »
Fraîchement délogés, les « Mahorais » ont répliqué. La nuit suivante, entre lundi 29 et mardi 30 septembre, ils ont tiré une dizaine de balles dans les vitres à l’arrière du 6 allée de Brno.
« Depuis, plusieurs épisodes de violence ont eu lieu sans que ce soit trop grave », explique un observateur du quartier. « Des bagarres ont eu lieu la nuit. On en a vu le lendemain avec des bandages autour des bras. » Autre épisode qui a traumatisé le quartier : vendredi 3 octobre au matin, les « Mahorais » lourdement armés ont été aperçus en train d’emprunter le passage de l’école Trégain entre la maternelle et le primaire. Les 350 élèves ont été confinés. Une machette a été retrouvée dans les buissons de l’école. « Heureusement, un film occultant a été posé sur les vitres des classes, les enfants ne voient pas l’extérieur », souffle une maman de l’école. « En plus, ce matin-là, suite à l’alerte, les instituteurs avaient baisé les volets roulants. Les élèves n’ont rien vu mais ils ont travaillé dans le noir… »
La violence ennemie du business
Pour tenter de maintenir la sécurité dans le quartier, une compagnie de CRS est y régulièrement postée depuis. Ce qui désarçonne les trafiquants. « Leur point de deal bouge… Un coup, ils vendent dans le parc de jeux pour enfants devant l’école, un autre devant le Pole d’accueil multimodal, un autre entre le 6 et le 8 allée de Brno… », observe un habitant. « Les consommateurs de drogue n’aiment pas devoir chercher le point de deal, ajoute un policier. Et ils aiment encore moins croiser la police une fois qu’ils ont acheté leur drogue, sourit un policier… La violence sur les points de deal, c’est très mauvais pour le business. D’ailleurs, le secteur de Maurepas tourne beaucoup moins bien qu’il y a encore quelques années. »
Selon les informations du Télégramme, ce qui s’est joué fin septembre à Maurepas, ne serait finalement qu’un énième épisode d’une guerre qui dure depuis des années. Courant 2023, un habitant du quartier a embauché de nombreux jeunes pour tenir le point de deal dit de la « Banane ». Oui mais quelques mois plus tard, ce dernier a été délogé par un Kosovar qui venait de sortir de prison. Une guerre a fait rage allant jusqu’à une course-poursuite où un enfant de 5 ans a pris deux balles dans la tête… Le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau a débarqué à Rennes le 1er novembre 2024. La police a procédé à de nombreuses arrestations. « La nature ayant horreur du vide », souffle une source judiciaire, les Mahorais ont repris les deux points de deal de Maurepas. Mais sans le « chef initial » qui avait fait appel à eux. Ils ont exploité les points de deal de Gros-Chêne et de la Banane pendant près d’un an. En septembre, le trafiquant local évincé est revenu aux manettes.